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lundi 17 mai 2010

Entretien avec Erick Ifergan Part. 1


L'exposition photographique, Américan Night, nous évoquait Los Angeles avec ses nuits et ses personnages comme tout droit sortis d'un roman John Fante. Rhymes a décidé d'en savoir plus et a rencontré hors champ l'homme derrière son objectif à L.A. Le réalisateur de clips d'artistes tel que : Isaac Hayes, Alain Souchon, Axelle Red & Youssou N'Dour... le réalisateur publicitaire de surréalisme et d'une forme de poésie de l'imaginaire : Erick Ifergan a.k.a. the Serial Dreamer...


Que faut-il répondre à une personne qui demanderait « Qui est Erick Ifergan » ?

- Il sourit - Je suis avant tout un homme d'image. J'travaillais beaucoup sur la photographie au départ, ensuite j'ai fait beaucoup de clips pour tous les gros chanteurs français. Je suis parti au Etats-Unis faire des clips aussi début des années 90 et j'me suis retrouvé après à réaliser des pubs et des longs métrages. J'ai un petit peu arrêté la photographie pendant un moment, maintenant j'y reviens et j'continue à faire des films très personnels. J'ai arrêté tout ce qui est publicité, clips etc...

Je crois que le shoot Américan Night a été fait pendant le tournage de votre premier long métrage Johnny 316. Dans quelles conditions a été réalisé cette série de photos ?

En fait ça été à ce moment-là, que j'ai eu l'inspiration de faire cette série, mais je n'ai pas pu le faire pendant le tournage... un tournage c'est tellement 24 heures sur 24... c'est après que j'ai entrepris cette série de photos. C'est par la fascination de ce qui se passe au Etats-Unis dans des villes comme Los Angeles, la nuit, les rues qui sont désertes, les gens s'échappent, il n'y a plus personne...

C'est le L.A qu'on ne montre pas souvent, le Los Angeles dur ?

Oui, c'est le Los Angeles qu'on ne montre pas souvent, c'est un Los Angeles qui est vrai en fait. Parce que L.A, c'est les paillettes et ce qu'on ne voit pas, c'est la réalité des choses.

Quelle est la part de mise en scène ?

Ce sont des rencontres avant tout, mais il y a une part de mise en scène. Il y a une vraie part de mise en scène, mais il y a des vraies histoires. Parce que moi j'rencontre les gens et je les invite dans les images. J'éclaire un peu comme une scène de cinéma, il n'y a pas de flash, je ne vole pas d'image. Toutes les personnes qui sont photographiées sont conscientes d'être photographiées. On se parle, quelle est leur histoire etc... et c'est toujours des personnes incroyables. Là j'continue justement, j'ai fait une nouvelle série et j'ai rencontré un type qui était habillé dans une robe très très longue comme ça. Il mesurait deux mètres, il avait une grande robe, comme Moïse en fait... une grande grande barbe, les cheveux très longs et il se baladait sur Sunset Boulevard. Et donc j'me suis arrêté je lui ai parlé et je lui ai demandé s'il voulait faire des photos, il a tout de suite accepté.
Et ce qui est hallucinant c'est que bon, je lui dis : « C'est quoi son histoire ? Est-ce que tu te prends pour Jésus... ». Il me répond : « Non non moi je... ». Je lui dis : « Tu ressembles à une apparition... ». Il me répond : « C'est exactement ce que je suis ! Je sors comme ça et j'm'habille comme ça. Je sors et je rencontre des gens ». C'était son truc. Il m'a confié : « moi ce que j'ai envie, c'est juste m'amuser, de rencontrer des gens intéressants... ». C'est vraiment ce que j'dis souvent de l'Amérique, ils aiment se créer des personnages et ils vont aux bouts de leurs personnages. Ils sont pas obligatoirement des illuminés ou des fous, des fanatiques. C'est des gens normaux, après le type il enlève son costume, il rentre chez lui et il boit son coca devant sa télé comme vous et moi.

Si vous deviez être l'une des personnes que vous aviez photographié, laquelle choisiriez vous ?

Je sais pas c'est difficile, j'suis un peu toutes les personnes que je photographie. Ils me touchent tous pour des raisons très différentes. Chacun fait parti de moi en quelque sorte. C'est délicat de choisir... mais le personnage que je préfère c'est le clown. C'est un personnage que j'aime, parce que j'ai grandi dans ma chambre avec une peinture de Bernard Buffet qui était un clown triste et j'me réveillais le matin, j'avais cette tête de clown qui me regardait. Donc voilà j'ai un peu retranscrit cette image.

Quelques mots pour définir Los Angeles ?

La ville des rêves perdus ou Lost Angeles.

Un shoot comme Américan Night, vous pourriez le faire dans une autre ville ?

Je pense que c'est déclinable, on peut imaginer Paris, Berlin... mais l'inspiration première est vraiment Los Angeles. Je ne sais pas si j'peux faire la même chose ailleurs, je ne sais pas si c'est vraiment intéressant de le faire. Los Angeles, c'est vraiment une ville où les gens sont perdus, se cherchent...

Finalement, quelque soit le domaine, qu'est-ce que vous essayez de transmettre ?

J'essaie de parler de ce qu'on ne voit pas. Ce qui m'intéresse c'est qu'on n'arrive pas à voir, donc dans mon travail de metteur en scène et mon travail d'images. Ce qui est paradoxal, je montre des images, des choses qui sont tangibles mais ce qui m'intéresse c'est ce qu'il y a derrière. En photo c'est un peu plus difficile à faire, parce que vous avez une seule image et cette image quand vous la regardez, elle va ouvrir votre imagination, c'est ce que j'aime dans la photo. Donc par exemple quand vous regardez le clown, tout d'un coup vous allez avoir votre propre histoire s'ouvrir autour de ce clown. Mais en même temps, le travail que j'fais, c'est un travail métaphorique. Donc j'essaie d'ouvrir les imaginations, et en film, j'essaie de travailler de la même façon. En film on a plus d'outils pour faire ça, j'peux monter plus d'une seule image, j'peux montrer 10, 20 plans différents, mais en même temps ce que j'essaye de faire aussi en film, c'est de ne pas enfermer l'imagination. Souvent les films sont tellement réalistes, qu'ils vont vous enfermer dans un imaginaire, qu'ils vont vous donner toutes les réponses ou vous allez attendre toutes les réponses. Et moi ce que j'aime dans le cinéma, c'est au contraire faire poser des questions et ouvrir l'imagination.

Trouver soi-même les réponses ou ne pas en trouver aussi...

Oui et comme les premiers films que j'ai fait c'étaient des clips. Dans les clips fin des années 80, on a un peu inventé cette chose qui n'existait pas. Moi ce qui m'intéressait dans les clips c'était justement de ne pas raconter des histoires trop précises sur les paroles. Si j'illustre les paroles de la chanson j'emmerde tout le monde, on est d'accord... Le travail d'un réalisateur de clip, c'est guider les gens sans jamais leurs montrer du doigt. C'est aussi la force du roman par rapport à... je sais pas... au théorème de mathématiques. Des choses très précises, on suit le théorème, on arrive à une solution. La vie c'est pas ça, on est sans cesse dans le flou, on sait jamais quoi penser de qui...



Sébastien Dagnet

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